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2008 Lauréat

Selon le jury, « le théâtre de Daniel MacIvor – protéiforme, en perpétuelle métamorphose – se déroule sur la fine ligne entre présentation et représentation. Sa dramaturgie porte à la scène des états humains pour lesquels il n’existe pas de mot, explorant ce qui échappe aux catégorisations du langage. Préoccupé par l’exclusion, MacIvor, à travers ses pièces, donne voix à ceux dont la solitude permet d’appréhender le monde autrement. »

Daniel MacIvor est né au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Il a écrit près de 20 productions en une vingtaine d’années, dont 15 publications en son nom. Ses pièces comprennent des titres tels que See Bob RunWild AbandonThe Soldier DreamsYou Are HereHow It WorksHis Greatness, ainsi que A Beautiful View, et, en collaboration avec Daniel Brooks, partenaire de longue date, il a créé les représentations solo House, Here Lies Henry, Monster et Cul-de-sac. Sa pièce Marion Bridge a été jouée en avant-première « Off-Broadway », à New York, en octobre 2005, alors qu’une autre de ses autres pièces, Never Swim Alone, a remporté le New York Fringe’s Overall Excellence Award de 1998. En 2002, il a remporté un prix GIAAD ainsi qu’un prix Village Voice Obie pour sa pièce In On It (PS 122). M. MacIvor est également récipiendaire de deux prix Chalmers pour une nouvelle pièce, et son collectif de cinq pièces intitulé I Still Love You a remporté le prix du Gouverneur général 2006 en écriture dramatique. M. MacIvor est également scénariste et réalisateur (House, Wilby Wonderful, Marion Bridge, Past Perfect, Whole New Thing), et de 1987 à 2007, il a été directeur artistique de la compagnie internationale de tournées théâtrales da da kamera.

Discours d’acceptation

Tout d’abord, j’aimerais remercier le Dr. Siminovitch, fondateur de ce prix, les membres du jury, et la Banque de Montréal qui le parraine: merci pour cet honneur incroyable.  Je vous remercie, ma mère vous remercie, ma sœur Dolly, qui est ici ce soir, vous remercie, et Phil Nunes mon directeur financier à la succursale de College et Manning de la Banque de Montréal vous remercie.

Ce soir, j’aurais voulu vous parler de maths.  Mais puisque John Mighton s’en est chargé il y a trois ans, je vais vous parler de mon deuxième choix: la famille.

Je suis né à Sydney, Cap-Breton, fils de Lily MacLean et Buster MacIvor.  Il était soudeur de son métier, elle, serveuse pendant 35 ans à l’hôtel Isle Royale qui domine le très nauséabond et très beau port de Sydney.  Mes parents ont eu une relation tumultueuse doublée d’un amour profond. La sorte de relation que l’on peut imaginer entre un soudeur nommé Buster et une serveuse nommée Lily – ajoutez à cela tous les clichés qui vous passent par la tête et vous avez le portrait de mon enfance. Il n’y a pas longtemps, je préparais un petit discours sur ce qui m’a amené au théâtre  et j’ai demandé à ma sœur Ann s’il y avait eu quelque signe avant-coureur de ma vocation dans ma petite enfance. Elle y a réfléchi quelque temps et m’a dit que mes crises attiraient souvent un public, mais à part ça, rien. Ma famille était mystifiée par mon penchant pour la créativité et la théâtralité. Quand j’étais à l’école primaire, je montais des pièces sur la galerie en arrière de chez nous. Plus tard, au secondaire, je me suis mis à faire des films en Super 8, mais mon public les trouvait «heavy», alors j’ai décidé de devenir poète. Et, tout mystifiés qu’ils étaient par mon attirance pour un autre monde, mes parents ne m’ont jamais découragé, ils m’ont même acheté, pour mes 16 ans, une machine à écrire électrique. Je me dis souvent que ça a dû être pas mal bizarre pour un soudeur et une serveuse d’aller acheter une Smith-Corona. Mais c’est ça, la famille.

Le reste de mon adolescence, je l’ai passé à attendre l’extra-terrestre qui viendrait me chercher pour me ramener sur ma planète d’origine. Ce qui est sans doute vrai pour la plupart des adolescents. Ce n’est que quand je suis allé à l’Université Dalhousie à Halifax que j’ai trouvé le courage – loin des inévitables ricanements de mes confrères joueurs de hockey – de faire partie du club de théâtre.  La Société de théâtre de King’s College faisait des auditions pour «Our Town» de Thornton Wilder. Je m’étais lié d’amitié avec ma voisine de palier, DebbieTownsend – qui, incidemment étudiait en psychiatrie, je vois maintenant que j’étais un de ses sujets – et c’est sur ses encouragements que je me suis présenté à l’audition et que j’ai décroché le rôle principal.  Ceux d’entre vous qui connaissent mon travail savent à quel point toute ma méthodologie s’inspire de «Our Town», c’est dire si l’effet en a été immédiat.  Pendant la période intense des répétitions, je me suis retrouvé associé  à un groupe de gens bizarres, dont je me sentais proche, sans trop encore savoir pourquoi. Ce n’est que le soir de la première, lorsque je suis entré sur scène pour la première fois, que j’ai compris. J’étais en famille.  Et ce n’était pas seulement les gens sur scène avec moi, c’était le public aussi. J’étais entouré de gens qui comprenaient ce que signifie le théâtre, ce qu’il peut signifier, comment il peut toucher l’âme, comment il peut nous aider à prendre le recul nécessaire pour définir notre place dans le monde, comprendre cela  et mettre cette nouvelle connaissance en action. Je faisais désormais partie d’une autre famille.  L’année suivante, je me suis inscrit au programme de théâtre à Dalhousie et c’est là que j’ai vraiment commencé à écrire des pièces. Ma première pièce s’intitulait «Blue Bells» et nous avions loué un des studios pour les répétitions et les représentations. Dans la classe une année avant moi, il y avait cette bizarre de bizarre de fille bizarre qui venait en fait du même coin que moi et que je soupçonnais de venir aussi de la même planète. Je lui ai demandé de faire la régie et elle a dit oui – probablement parce qu’elle pensait qu’il y aurait un party. Elle s’appelait Caroline Gillis. Caroline est très vite devenue une sœur pour moi. Quelques années plus tard, je vivais à Toronto et j’essayais désespérément de convaincre Caroline de quitter son emploi d’opératrice téléphonique à Halifax pour venir se joindre à moi dans ma quête de célébrité à Toronto.  Je lui ai demandé si elle accepterait de venir à Toronto si je lui écrivais une pièce.  Elle a réfléchi, et elle a dit, «Pourquoi pas un one-woman show?»  J’ai accepté.  Le one-woman show s’intitulait «See Bob Run».   En fait, elle a débarqué à Toronto avant que j’aie fini de l’écrire.  Mais c’est ça, la famille.

Tout au long de ma carrière en théâtre, j’ai eu le bonheur de rencontrer des gens avec qui je pouvais travailler, des familles dont j’ai fait partie. Vers la fin des années  80 j’ai fait partie de la famille de Buddies In Bad Times, qui m’a soutenu et permis de payer mon loyer.  Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas Sky Gilbert, je peux vous dire que c’est la meilleure tante qui soit – et la plus sexy aussi.  Par l’entremise de Buddies, j’ai eu le privilège d’entrer en contact avec mes frères Ken McDougall et Ed Roy.  J’ai aussi fait la connaissance de Jerry Doiron qui m’a amené à Passe Muraille où j’ai produit mon premier one-man show.  C’est là que j’ai rencontré Linda Griffiths dont j’étais tellement épris que j’ai réussi à me faire une place dans le magazine de théâtre Theatrum, dont un des rédacteurs était mon coloc, rien que pour avoir l’occasion de luncher avec Linda à Bar Italia.  J’étais tellement nerveux que j’ai oublié de prendre des notes et que j’ai dû écrire toute l’entrevue de mémoire. Et puis, j’ai fait partie de la famille du Tarragon avec Urjo et Mallory et Andy.  C’est au Playwright’s Unit du Tarragon que j’ai appris de Joan McLeod et Don Hannah à me tenir près de la porte du bureau de Judith Thompson pour écouter les drôles de bruits qu’elle fait en écrivant. Par le Tarragon, j’ai trouvé une autre famille avec la colonie de Banff Playwrights et John Murrell et Bob White.  Et puis après, une autre famille bien spéciale s’est formée quand j’ai créé da da kamera, où j’ai produit mes spectacles pendant vingt ans. Richard Feren et Andy Moro et Kimberly Purtell et moi étions parfois en tournée huit mois de l’année. Nous étions une famille solide.  Et Sherrie Johnson qui a été ma partenaire pendant la plupart de cette période a été bien plus qu’une partenaire. Au début, elle faisait tout sauf le lavage, bien que je me souvienne qu’elle ait repassé plus d’un costume.  Au sein de la compagnie, j’étais Dada Kamera, et elle, MaMa Kamera.  Mais elle était bien plus qu’une MaMa, c’était une âme-sœur, avec la même foi, une extra-terrestre comme moi. Et c’est au sein de cette famille da da kamera que j’ai appris qu’on n’écrit pas pour le théâtre seul. J’ai appris qu’un texte est un élément de production au même titre que le jeu des acteurs, la mise en scène, les décors, le marketing et le public.  J’ai aussi appris que la meilleure façon d’écrire une pièce est de louer un espace pour la jouer. Nous avons donc loué beaucoup d’espaces et écrit beaucoup de pièces. Et notre famille da da Kamera s’est jointe à beaucoup d’autres familles.  À Montréal au Quat’Sous et à l’Usine C, à Calgary à la famille du One Yellow Rabbit, en Nouvelle-Écosse au Mulgrave Road Theatre – dont le directeur artistique est mon ex-belle-sœur Emmy Alcorn, autrement dit, la famille prenait de nouvelles dimensions – aux États-Unis au Wexner Centre et PS 122, ici à Toronto à Canadian Stage, et, plus récemment à Buddies In Bad Times, ce qui boucle la boucle.  Le plus étonnant dans tout ça, c’est qu’après tant d’années, nous nous aimions toujours et nous restions toujours en contact. Mais c’est ça, la famille.

En parlant de familles, il faut que je mentionne un membre très spécial, mon frère Daniel Brooks.  La première fois que j’ai rencontré Daniel, lui et Don McKellar et Tracy Wright faisaient un spectacle avec leur Augusta Company qui s’intitulait «Indulgence», c’était une méditation méta-théâtrale sur, entre autres choses, le théâtre «canadien», dans laquelle on voyait une pièce canadienne interprétée dans le style le plus «kitchen sink» possible.  Et la pièce dans la pièce, l’«indulgence» – et là, Daniel va me contredire, comme il le fait toujours et comme il va le faire ce soir, – était basée sur une pièce que j’avais écrite et dont Caroline Gillis était un des personnages principaux.  Pour preuve, laissez-moi vous dire que la pièce que j’avais écrite s’intitulait  «Somewhere I Have Never Traveled» et que le nom de la pièce dans «Indulgence» était «Sometime Come Often». À vous de juger. Caroline et moi jouions ensemble dans «Indulgence» et Daniel et Don et Tracy savaient que nous étions dans la salle.  Après le spectacle, nous nous sommes tous retrouvés au même café. Séquence de suspense à la Sergio Leone: chaleur de midi, cowboys, herbes sèches qui tournoient dans le vent.   Je ne me souviens plus exactement comment la soirée s’est terminée, mais quelques mois plus tard Caroline et Tracy partageaient un appartement et j’ai décidé que Brooks ferait le boyfriend parfait, alors j’ai essayé de le cruiser. Bon. Je me suis trompé, il n’était pas gay, mais j’ai alors pensé qu’il était British. Comme j’avais été rejeté côté cœur, il ne me restait plus qu’une chose à faire: travailler avec lui. Ensemble, nous avons créé une série de pièces qui ont changé ma vie. Son impact sur moi a été énorme.  Sans la foi de Daniel en moi, son soutien inconditionnel, son doute rigoureux, son incessant questionnement du but à atteindre, son instinct infaillibe et son véritable amour, je ne crois pas que je serais ici aujourd’hui. Et je ne veux pas dire ici pour recevoir ce prix, je veux dire ici, point. Daniel a eu non seulement la générosité de m’accueillir dans son travail, mais aussi dans sa vie et ses pensées et son cœur. Il m’a inclus dans sa vie avec Emma et Kate. Deux filles aussi belles qu’intelligentes et que je suis fier de considérer comme mes filleules. C’est ça, la famille.

Bien sûr, à force de parler de famille, on peut aller loin.  En tant que Canadiens, nous faisons partie d’une grande famille canadienne.  Et si on le voit comme ça, j’imagine que Stephen Harper est notre Papa.  Ça m’attriste de penser que si vous êtes un ti-cul de 16 ans avec des tendances «théâtrales» qui rentre de l’école un jour et qui demande une Smith-Corona électrique pour son anniversaire, ce Papa-là vous répondra: «Cout’donc, tu serais pas fif?».  Au moins, la bonne nouvelle, c’est que si Stephen Harper est le Papa, c’est Michaëlle Jean qui est la Moman.  Et elle, c’est une vraie de vraie Moman. La sorte de Moman qui ferait les costumes, qui vendrait les billets, qui serait assise au premier rang tous les soirs, à applaudir à tout casser, qui serait toujours fière de vous, qui remplirait votre demande d’inscription pour l’École nationale de théâtre et qui vous conduirait à Montréal pour l’audition.  Bon. En tant que pays, notre famille est un peu dysfonctionnelle. Mais c’est ça, la famille.

Quand Leonard McHardy m’a téléphoné pour m’annoncer que j’avais remporté ce prix, il m’a dit: «Tu fais partie de la famille Siminovitch maintenant.»  Et la famille Siminovitch, c’est quoi?  Les récipiendaires précédents, les jurys, les fondateurs, les parrains, tous les gens que touche ce prix.  Et au centre de cette famille, il y a l’idée du mentorat et de l’encouragement. Le début de cette famille, c’est l’histoire d’un scientifique à qui on offre l’honneur de décerner un prix en son nom et qui choisit de dédier cette récompense à la mémoire de sa femme, une artiste. C’est une histoire d’amour et c’est le genre d’histoire qui produit les meilleures familles.

En fin de compte, la famille dont je vous parle ce soir, c’est la famille des gens qui croient que l’art est important. Et à l’intérieur de cette famille, il y a une petite famille qui croit que le théâtre a le pouvoir de transformer des vies – les vies de ceux qui le pratiquent – la mienne a certainement été transformée –  mais aussi la vie du public qui vient dans des salles sombres, esprit et cœur grand ouverts, plein de questionnements et qui trouve un moment de paix en présence de quelque chose de familier.

Franchement, la meilleure partie de ce prix est que j’ai le privilège de faire don de vingt-cinq mille dollars à un jeune artiste dont je respecte le travail – et qui en a vraiment besoin. J’ai choisi deux personnes qui travaillent ensemble, d’une façon qui m’est très familière. Qui sont engagés dans un processus intelligent et étrange, plein de foi, de doute profond et d’attachement personnel. Un processus qui produit des œuvres hautement théâtrales, authentiquement humaines, qui posent un défi en vous divertissant. Et s’ils demandent pourquoi je les ai choisis, je leur répondrai: «C’est ça, la famille.»  Permettez-moi de vous présenter Medina Hahn et Daniel Arnold.

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