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Jillian Keiley

Lauréate, 2004

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2004 Lauréate

Selon le jury, le travail de la metteure en scène de Terre-Neuve-et-Labrador Jillian Keiley « est fabuleusement original et extrêmement ingénieux. C’est une artiste qui fait preuve d’une vision originale et novatrice et dont les expérimentations, tant sur le plan de la forme que du contenu, créent des moments magiques tant pour le public que pour les comédiens. Tout à la fois cérébrales et viscérales, ses productions explorent souvent les fondements de l’art de la scène avec un effet saisissant.»

Mme Keiley est la fondatrice et directrice artistique de la compagnie Artistic Fraud of Newfoundland, pour laquelle elle a mis en scène 14 nouvelles pièces dont les textes et la musique sont, en majorité, des créations originales du dramaturge Robert Chafe et de la compositrice Petrina Bromley. Depuis 10 ans, Mme Keiley travaille avec la compagnie Artistic Fraud au développement d’une technique chorégraphique et de mise en scène unique en son genre fondée sur la rigueur mathématique et la musique, désignée sous le nom de kaléidographie. Elle enseigne cette technique novatrice dans les universités et les instituts de formation professionnelle partout au pays depuis six ans.

Discours d’acceptation

Je tiens à remercier de tout cœur le Dr Siminovitch, M. et Mme Comper, les fondateurs du Prix Siminovitch, les membres du jury, Jacoba Knappen, Andrea Lundy, John Van Burek, Blair, Andrew, Joanne, ainsi que tous les employés de BMO et en particulier les organisateurs de cette soirée. Cet honneur a une grande signification pour moi et pour ma communauté, mais c’est surtout ma mère qui en est le plus touchée.

Enfant, j’ai exprimé un jour le vœu de devenir actrice. Ma mère, qui avait suivi une formation parentale, savait exactement ce qu’il fallait dire pour m’encourager à réaliser mes rêves tout en poursuivant des études en éducation. Mon père n’était pas aussi initié et se contenta de répondre par un laconique « hum… ». J’ai donc suivi son conseil et abandonné l’idée de devenir institutrice. Ma mère m’a lancé un regard scrutateur, puis a conclu : « D’accord, fonce! »

Cette année-là, j’ai rencontré Gordon Jones, directeur d’un théâtre d’été qui jouait du Shakespeare. Je lui ai lancé, sur un ton à moitié sérieux : « Et si vous me laissiez mettre en scène la pièce? ». Ce à quoi il a répondu tout simplement : « Non. » Puis, il a pris son gros trousseau de clés et m’a fait signe de le suivre. Nous sommes descendus dans les loges et il m’a dit : « Tu peux t’installer ici pour travailler avec les comédiens. » Je me souviens l’avoir dévisagé d’un air incrédule, comme s’il venait de me donner un million de dollars. « Eh bien? Qu’attends-tu? », m’a-t-il dit. C’est ainsi que j’ai été l’assistante du metteur en scène des pièces de Shakespeare jouées par le théâtre d’été pendant six ans.

Tout cela pour vous dire que j’ai suivi le conseil de mon père et que je me suis inscrite à l’école de théâtre, ici à Toronto, sur la rue Steeles. Pendant ma formation, Chris Tolley et moi-même avons écrit une pièce intitulée « In Your Dreams, Freud », une satire musicale sur les doctrines qui nous étaient enseignées, dans laquelle nous tournions en dérision la psychologie moderne, Aristote, l’amour, les succès de Broadway et l’école de théâtre elle-même. Nous étions très fiers de nous. Nous sommes allés voir les directeurs de programmes pour leur présenter notre projet. Ils nous ont dit : « Vous devrez le produire en dehors des heures de cours. » « Aucun problème », avons-nous répondu. « Oui, mais l’ennui, c’est que vous n’avez pas de temps libre en dehors des cours. » Nous ne nous sommes pas laissés décourager pour autant. Devant notre détermination, ils nous ont dit : « Officiellement, ce n’est pas une bonne idée. Mais voici les clés du théâtre. Débrouillez-vous! »

Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai cherché à m’intégrer à une troupe de théâtre professionnelle. J’ai donc harcelé Lois Brown, qui est ici ce soir et qui a été nommée parmi les finalistes de ce prix. Lois dirigeait le Resource Centre for the Arts, qu’on appelait le « Hall ». C’était une femme très occupée, mais je l’ai assaillie de coups de téléphone et de visites pour obtenir un emploi d’été, jusqu’à ce qu’elle me dise : « Bon, qu’est-ce que vous voulez faire? » Je lui ai alors répondu : « Je voudrais monter un grand spectacle de cabaret qui réunirait sur la même affiche tous les membres de la communauté artistique de St. John’s, les plus connus et les nouveaux talents. Le spectacle porterait chaque soir sur un thème différent et nous servirions un dîner sur ce même thème. À la fin de la saison, nous pourrions payer tous les artistes, ne serait-ce qu’une somme symbolique. » Lois m’a donné le feu vert et à la fin de l’été, nous avons envoyé des chèques de 17 $ à tous les participants. Lois, je tiens à te dire combien je suis fière d’être à tes côtés parmi les finalistes de ce prix, et heureuse de pouvoir t’exprimer ma gratitude en public ici, car tu as été un mentor pour moi. Je te remercie du fond du cœur et je me considère très chanceuse d’avoir réussi à te forcer à m’engager.

Je suis donc restée au Centre près de sept ans. Lois était déterminée à poursuivre le projet du cabaret et surtout à y attirer les artistes de la relève. J’ai alors sorti de mes tiroirs la pièce « In Your Dreams Freud ». Nous l’avons produite et l’équipe de production l’a reprise une deuxième, une troisième et une quatrième fois, puis au cours d’une brève tournée. Cette équipe est ensuite devenue la compagnie Artistic Fraud of Newfoundland, celle dont je suis toujours la directrice artistique.

Pendant que j’étais au Centre, j’ai rencontré plusieurs des membres de la nouvelle troupe Artistic Fraud, dont Ann Brophy. Toutes les compagnies de théâtre qui réussissent s’appuient sur une personne comme Ann. Qu’elle s’appelle Mallory, David, Gaylene, Sherrie, ou qu’elle soit à la direction générale ou à la production, son rôle est essentiel. On pourrait croire que le plus grand mérite d’Ann est sa capacité d’équilibrer un budget à un cent près, mais sa qualité première, c’est de pouvoir dire : « C’est un projet difficile. Voyons comment nous pourrons le réaliser… » Notre Ann est une visionnaire, qui conjugue parfaitement expansion et viabilité. Je lui suis très reconnaissante.

Nous travaillons actuellement sur une forme théâtrale que nous avons baptisée la « kaléidographie », comme dans « kaléidoscope ». Pour notre première production, nous avons choisi la fugue de Bach en sol mineur, vous savez « la la la la ». Cette fugue se compose d’une phrase musicale, qui se subdivise en deux, puis en trois, puis en six phrases. Au lieu d’appliquer des valeurs tonales à ces phrases, nous y avons associé une action en respectant la courbe harmonique et les valeurs temporelles. Nous avons créé un scénario basé sur l’histoire d’un groupe d’écoliers qui trichent à un examen de maths. Nous avons remplacé l’harmonie des notes par l’harmonie de l’action. Il s’agissait donc de projeter les dialogues sur le découpage musical. Il nous fallait pour cela un groupe assez nombreux pour créer les différents tableaux correspondant aux motifs musicaux. D’après notre grille, cela faisait au moins 81 acteurs. J’ai donc eu l’idée de m’adresser aux responsables du Sound Symposium de St. John’s : « Je ne sais pas si ça va marcher, mais que diriez-vous de participer… ». Je leur ai exposé le projet que je viens de vous décrire. Ils n’ont pas hésité et se sont lancés dans l’aventure.

Nous avons alors entrepris d’élaborer ce concept et de le concrétiser sous différentes formes théâtrales et visuelles basées sur les règles mathématiques de la musique. Après avoir mis en scène quelques productions de ce genre, j’ai rencontré Norman Armour, du Rumble Theatre, à l’occasion d’une conférence de la PACT (Professional Association of Canadian Theaters). Je crois que nous nous étions retrouvés tous deux au bar après nous être discrètement éclipsés d’une discussion animée entre l’Equity (Canadian Actors’ Equity Association) et la PACT. C’est là qu’il a tenté de m’apprendre à jouer au snooker. Le jeu m’ayant laissée perplexe, j’ai plutôt entrepris de lui expliquer le concept de la kaléidographie et de lui présenter le nouveau spectacle que nous avions monté, Under Wraps, ainsi que notre version de Jesus Christ Superstar, pour laquelle nous avions composé des tableaux visuels et scéniques basés sur la partition originale. Je me souviens que Norman avait trouvé l’idée très amusante, mais trois mois plus tard, il me faisait venir à Vancouver pour présenter ma recherche. C’était la première fois que je communiquais la teneur de nos travaux. Six ans plus tard, je suis encore abasourdie et perplexe en pensant à l’acte de foi que Norman a fait en m’invitant à Vancouver. Et je suis toujours aussi abasourdie et perplexe devant le snooker…

Les actes de foi ont ensuite jalonné ma carrière : des jurys et administrateurs du Conseil des Arts aux producteurs de théâtre itinérant. Pour notre première tournée professionnelle, cinq compagnies nous ont accueillies aux quatre coins du pays. À l’époque, ces compagnies n’avaient aucune raison de me faire confiance ou de miser sur Artistic Fraud, un nom difficile à monnayer en contrats, notamment pour une production de théâtre expérimental dans laquelle 24 acteurs incarnent une symphonie. Mais elles ont dit : « D’accord, si vous vous chargez des déplacements, nous produirons le spectacle. » Nous avons dû faire jouer toutes nos relations – politiques, familiales, etc. – et nous adresser à des gens que nous ne connaissions pas et qui n’avaient jamais entendu parler de nous. Nous avons été photographiés avec le ministre de la Culture, des loisirs et de la jeunesse, à l’occasion de la remise d’un chèque de subvention du ministère qui regroupe aujourd’hui les loisirs, la jeunesse, les mines, les pêcheries et la culture. Nous l’avons ensuite supplié d’être notre porte-parole auprès des compagnies pétrolières. Il nous restait à peine un mois pour réunir les fonds nécessaires et nous avions signé 24 contrats pour une tournée de cinq semaines. Il nous manquait 27 000 $ sur un budget total de 140 000 $. Une semaine plus tard, nous avons dû rayer le Yukon de notre itinéraire. Trois semaines avant notre départ pour Calgary, il nous manquait encore 16 000 $. Notre organisateur a réduit nos réservations d’hôtel d’un tiers en nous regroupant à trois par chambre. Nous avions encore un trou de 8 000 $ à combler une semaine avant Noël et deux semaines et un jour avant le décollage de notre avion, avec ou sans nous à bord. Les idées fusaient : « Laissons tomber les fourgonnettes de location… Découpons les décors et répartissons-les dans les bagages des comédiens… Coupons les honoraires des metteurs en scène, des régisseurs et des auteurs… Ah, c’est déjà fait… Et ainsi de suite… » Puis un appel de Petro-Canada. Joyeux Noël!

Tous les artistes sur lesquels j’ai pu compter pour monter ces productions ont fait preuve d’une foi inébranlable. « Euh, que diriez-vous si nous remplacions tout le texte de La Mouette, de Tchekov, par les instruments d’un quatuor à cordes, et si chacune des répliques interprétées par les acteurs était suivie d’une imitation tonale par un violon ou un violoncelle, qui finirait par remplacer la voix de l’acteur, démontrant ainsi l’importance de la musique dans le sens du langage… » « Euh, pourquoi pas. » « Oui, euh, que pensez-vous de l’idée de jouer devant une série de panneaux figurant les ombres des acteurs, ces ombres étant en fait d’autres acteurs qui imitent ceux qui se produisent sur scène. Lorsque ces derniers mentent, les ombres divergent… » « OK. » « Et si on plaçait les acteurs dans une cabine et qu’on distribuait leurs rôles à des spectateurs qui seraient reliés à eux par des écouteurs, et si les répliques des spectateurs/acteurs étaient chronométrées de manière à ce qu’ils découvrent la trame de la pièce au fur et à mesure qu’ils la jouent? » « Bon, allons-y! »

Je ne sais comment exprimer ma reconnaissance à ces acteurs, musiciens, concepteurs, régisseurs et techniciens pour leur ouverture et leur confiance à mon égard. Il faut dire que parfois, les idées ont l’air complètement farfelues, mais ces artistes me suivent jusqu’au bout. J’ai aussi eu la grande chance de travailler à l’extérieur avec des groupes généreux et ouverts tels que les compagnies Sheila’s Brush et Theatre Newfoundland Labrador. Tous les artistes que j’ai ainsi eu l’occasion de rencontrer ont contribué à l’élaboration de futurs projets : les questions qu’ils posent trouvent leurs réponses dans les prochaines productions.

J’aimerais souligner la contribution spéciale de deux membres de ce groupe d’artistes. Tout d’abord celle de Robert Chafe. Nous avons grandi, Robert et moi, dans la même petite ville de Terre-Neuve, mais ne nous sommes jamais rencontrés parce qu’il est protestant et que je suis catholique et que dans les années 70, ces communautés étaient les deux solitudes. Nous avons eu l’occasion de travailler ensemble et ne nous sommes jamais séparés depuis. Les idées de Robert sont les étincelles qui font briller les notions frivoles qui me viennent à l’esprit et les mettent en chantier. En toute équité, je devrais scier le trophée en deux et en donner la moitié à Robert, mais comme il partage aussi ma vie, le trophée est à l’abri. Robert est un génie. N’en profite pas pour me citer lorsque je te demanderai de couper un scénario! Je t’aime, chéri. Ce trophée t’appartient aussi.

La deuxième personne que j’aimerais vous présenter est une autre metteure en scène qui contribue à la réalisation de ces projets et qui recevra le prix de 25 000 $. Récemment diplômée du programme de mise en scène de l’École nationale de théâtre, elle a déjà lancé deux compagnies à Terre-Neuve. Elle a été la première étudiante de sa spécialité admise au Stratford Festival Conservatory. Brillante productrice, elle a été le cerveau de la tournée dont je vous ai parlé. Elle enseigne à l’École nationale de théâtre et ses étudiants ont pour elle une grande estime. Elle a été mon assistante et metteure en scène adjointe pour plusieurs de nos productions. Cette femme m’a appris énormément sur le métier d’acteur et d’auteur dramatique, mais elle m’a surtout donné une leçon inestimable. J’ai traversé des moments difficiles ces dix dernières années, je le reconnais. Des moments où j’ai envisagé de tout laisser tomber. Cette femme n’a jamais renoncé et je l’ai souvent observée en me disant : « Eh bien, si elle est assez forte pour faire face, moi aussi. » Elle est guidée par une brillante étoile : sa foi en un théâtre qui crée l’événement. Un théâtre qui crée l’événement. C’est une personne à qui je peux dire en toute confiance : « D’accord, fonce! » Mesdames et messieurs, j’ai le plaisir de vous présenter Danielle Irvine.

2004 Protégée

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